Les modifications proposées à l’imposition des entreprises privées, 21 000 commentaires et deux semaines plus tard

Les modifications proposées à l’imposition des entreprises privées, 21 000 commentaires et deux semaines plus tardLe 18 juillet 2017, le gouvernement fédéral a déposé un avant-projet de loi, des notes explicatives et un document de consultation représentant pour les entreprises privées, leurs actionnaires et les membres de leurs familles une refonte fondamentale du régime fiscal.

Initialement, les modifications proposées par le gouvernement étaient très générales et visaient ni plus ni moins toutes les sociétés fermées sous contrôle canadien. Elles portaient sur quatre grands volets :

  • la répartition du revenu;
  • la restriction de l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC);
  • la conversion des gains en capital en dividendes;
  • le réinvestissement des revenus d’entreprise.

Ces modifications reposaient sur la prémisse que, selon le gouvernement, il est injuste qu’un salarié obtenant un T4 ne puisse pas prendre les mêmes mesures de planification fiscale qu’un propriétaire d’entreprise. Si elles sont adoptées, ces modifications limiteront ce que peut faire un propriétaire d’entreprise pour économiser ou reporter de l’impôt.

Le gouvernement estime aussi que, dans leur planification fiscale, les sociétés privées cherchent des « échappatoires », ce qui n’est pas le cas. Il n’y a d’échappatoires que lorsque le libellé de la loi est inapproprié en fonction de l’objectif visé et mène à des abus. Les dispositions de planification fiscales font partie intégrante du régime fiscal canadien, et ce, depuis de nombreuses années; elles sont sans cesse sanctionnées par les tribunaux fiscaux.

Rappelons que la planification fiscale est motivée en grande partie par le fossé qui s’élargit entre le taux d’imposition des particuliers et celui des sociétés, et le taux d’imposition applicable aux dividendes et celui des gains en capital. Tout mouvement dans les taux résulte des décisions du gouvernement en matière de politique fiscale et, en particulier, de la tendance à augmenter le taux d’imposition des particuliers et à réduire celui des sociétés. Pour mettre les choses en perspective :

  • Le taux maximum d’imposition du revenu des particuliers, en Ontario, s’élève à 53,5 % tandis que celui des sociétés, sur les revenus d’entreprise, n’est que de 26,5 %, voire 15 % pour les petites entreprises.
  • Compte tenu de ce qui précède, un revenu d’entreprise peut profiter d’un report d’impôt de 27 à 38,5 %;
  • Le taux maximum d’imposition du revenu pour les dividendes non admissibles, en Ontario, s’élève 45,3 % contre 26,7 % pour les gains en capital;
  • Cela représente un avantage de 18,6 % pour les gains en capital en comparaison des dividendes non admissibles.

Les propositions fiscales initiales représentaient les modifications aux principes et aux lois fiscales les plus importantes depuis la réforme fiscale de 1972 – bien peu d’entre nous se souviennent de cette époque! Cette réforme a mis 10 ans à s’implanter complètement. Cette fois-ci, le gouvernement publie des propositions de réforme fiscale au beau milieu de l’été, en n’accordant que 75 jours de consultation (la date limite pour déposer des commentaires était le 2 octobre 2017). Certaines des mesures proposées sont même entrées en vigueur le 18 juillet 2017, tandis que d’autres, des mesures importantes, le seront le 1er janvier 2018.

Cette situation a donné lieu à des débats houleux sur les scènes politique et journalistique. Pas moins de deux semaines après la date limite, le gouvernement avait reçu plus de 21 000 commentaires de propriétaires d’entreprise, d’organismes sympathisants et de représentants du milieu de la fiscalité. Le 16 octobre 2017, le ministre des Finances, Bill Morneau, annonçait le passage du taux d’imposition des petites entreprises de 10,5 % à 10 % au 1er janvier 2018, puis à 9 % le 1er janvier 2019, honorant ainsi une promesse électorale qui avait vite été vite oubliée dans le premier budget fédéral déposé par le gouvernement libéral, en 2016 – et voilà qu’elle refait surface, sans doute en signe de bonne volonté. Soulignons toutefois que cette mesure s’accompagne d’une augmentation correspondante du taux d’imposition des dividendes non admissibles, lesquels sont versés à partir d’un revenu assujetti au taux d’imposition des petites entreprises. Pour certains, cela représentera une augmentation de l’impôt dans l’ensemble. Mais ne nous enlisons pas dans les détails, car la baisse du taux d’imposition pour les petites entreprises est une bonne chose. Ajoutons que le gouvernement avait promis que des modifications aux mesures proposées initialement seraient annoncés au cours de cette semaine-là, qui était la Semaine de la PME.

Voici ce que nous savons en ce 25 octobre 2017. Beaucoup d’autres détails sont encore à publier dans ces pages.

Répartition du revenu

La loi encadre déjà le versement de dividendes aux enfants mineurs, avec les règles sur le fractionnement du revenu s’appliquant aux mineurs ou l’impôt sur le revenu fractionné (IRF), pour utiliser la terminologie utilisée dans les règles proposées. Ces règles étendraient l’IRF aux dividendes reçus ou aux gains en capital réalisés par n’importe quel membre de la famille, quel que soit son âge, si ce membre ne parvenait pas à justifier au gouvernement le caractère suffisant de ses apports dans l’entreprise sous forme de travail ou de capital investi, pour en légitimiser le montant. Cette proposition est vivement critiquée. Son caractère subjectif la rend exagérément complexe, ingérable et impossible à mettre en pratique en affaires, tant pour les propriétaires d’entreprise que pour leurs conseillers fiscaux et même l’Agence du revenu du Canada (ARC). Comment, en effet, déterminer ce qui constitue un montant « raisonnable » de dividendes?

Le ministre des Finances a par ailleurs annoncé que « (…) le gouvernement avait l’intention de simplifier la proposition visant à limiter la possibilité, pour les propriétaires de sociétés privées, de réduire leurs impôts sur le revenu des particuliers en versant une partie de leur revenu à des membres de leur famille (…) ». Dans son énoncé économique de l’automne 2017, publié le 24 octobre 2017, le gouvernement fédéral a formulé d’autres commentaires de peu d’utilité. Comme il n’a pas abandonné le critère du caractère raisonnable pour évaluer les dividendes versés aux membres de la famille, sans égard à leur âge, il est difficile de savoir ce qui sera simplifié. Nous n’en savons pas plus à ce stade et attendons des précisions. Le gouvernement a indiqué que l’avant-projet de loi révisé serait rendu public plus tard à l’automne. Il n’a pas mentionné, toutefois, si la mise en œuvre prévue pour 2018 serait repoussée. En supposant que l’échéance soit maintenue, il faudra porter une attention toute particulière au versement de dividendes aux membres de la famille en 2017 – ce pourrait être une dernière chance dans les conditions actuelles.

Constraining Access to the Lifetime Capital Gains Exemption (LCGE)

L’ECGC prévoit une exonération dans le calcul du revenu imposable relativement aux gains en capital réalisés par tout particulier sur la disposition d’actions admissibles de petite entreprise et de biens agricoles ou de pêche admissibles. Un particulier peut ainsi mettre à l’abri le gain en capital réalisé sur la disposition d’actions admissibles d’une petite entreprise, jusqu’à concurrence d’un plafond cumulatif d’environ 835 000 $ en 2017 (1 000 000 pour des biens agricoles ou de pêche admissibles), qui est indexé à l’inflation. En vertu des règln’adopterait pas es fiscales actuelles, au cours d’une vente dans des conditions de concurrence normale il n’y a pas de restriction d’accès à l’ECGC pour les enfants, en raison de leur âge, ou le conjoint. De plus, les membres de la famille ne sont pas tenus de détenir directement les actions de la société fermée qui sont vendues. Ainsi, la propriété indirecte par une fiducie familiale et l’attribution à cette société de gains en capital imposables sont actuellement admissible à l’ECGC.

Les mesures proposées visaient à restreindre considérablement l’accès à ECGC de différentes façons : pas d’ECGC pour les périodes au cours desquelles une personne est mineure (moins de 18 ans); pas d’ECGC pour les périodes au cours desquelles les actions sont détenues par une fiducie; et pas d’ECGC si les règles relatives à l’IRF, dont il a été question plus tôt, s’appliquent à l’actionnaire. Nous n’irons pas plus en détails ici, puisque le ministre des Finances a également annoncé que le gouvernement « n’adopterait pas les mesures proposées pour restreindre l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital ». Rien d’autre n’a été dit à ce propos, alors nul ne sait ce que cela veut dire dans les faits; d’autant plus que les règles régissant l’IRF sont liées à celles qui sont proposées pour l’ECGC. Il serait un peu surprenant que le gouvernement recule sur toute la ligne, puisque la seule multiplication des demandes d’ECGC au sein d’une même famille, y compris ses membres d’âge mineur, pourrait être perçue comme étant « injuste ». On ne peut qu’attendre la suite des choses.

Conversion des gains en capital en dividendes

Cet aspect des mesures proposées pose un problème au gouvernement, puisque le fardeau fiscal sur les gains en capital peut être considérablement moindre que celui des dividendes. Les stratégies de planification courantes, qui sont parfaitement légales en vertu des règles fiscales actuelles, offrent une avenue permettant à certaines distributions de surplus d’être imposées en tant que gains en capital et non dividendes, ce qui peut représenter des économies d’impôt substantielles. Certaines dispositions fiscales retreignent ce genre de planification. Cependant, dans les cas où ces règles ne s’appliquent pas, l’ARC a semblé suggérer qu’il faudrait toujours imposer les distributions comme des dividendes et non pas comme des gains en capital, même si les tribunaux fiscaux lui ont souvent donné tort sur ce point. Les mesures proposées avaient pour but d’enchâsser dans la loi la prémisse selon laquelle toutes les distributions de surplus doivent être imposées de la même façon que les dividendes. Sans entrer dans les technicalités, ces mesures avaient des effets pervers, étaient complexes et exposaient un revenu, ou des gains, à la double imposition. Les mesures proposées auraient pénalisé les entreprises familiales au moment de la succession de manière telle que le transfert d’une entreprise privée à la génération suivante aurait pu créer un fardeau fiscal plus élevé que sa vente dans des conditions de concurrence normale. D’ailleurs, la question de l’accès à l’ECGC cause déjà ce genre de situation.

Eh bien, le gouvernement a reculé à nouveau par la voix de son ministre des Finances annonçant que « le gouvernement ne procéderait pas à la mise en place de mesures relatives à la conversion de revenus en gains en capital. Au cours de la période de consultation, des propriétaires d’entreprise, dont de nombreux agriculteurs et pêcheurs, ont déclaré au gouvernement que ces mesures pourraient entrainer plusieurs conséquences inattendues, notamment en ce qui concerne l’imposition au décès, de même que des problèmes potentiels relativement aux transferts intergénérationnels d’entreprises ». Mieux encore, il a ajouté ceci : « Le gouvernement travaillera avec les entreprises familiales, notamment les entreprises agricoles et de pêche, afin de rendre plus efficient et moins difficile le transfert d’entreprises à la prochaine génération ». Nous avons hâte de connaitre la suite.

Réinvestissement des revenus d’entreprise

De toute évidence, le gouvernement a un autre problème; un problème qui persiste depuis plus de 40 ans, mais que les circonstances projettent aujourd’hui à l’avant-plan. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les sociétés privées profitent d’un taux d’imposition inférieur au taux d’imposition des particuliers pour un revenu équivalent. Cette mesure était censée encourager les entrepreneurs à prendre le risque d’exploiter une entreprise et à réinvestir dans cette entreprise. Un taux d’imposition fédéral des petites entreprises de 9 % donnerait un taux combiné de 13,5 % en Ontario, comparativement au taux d’imposition des particuliers de 53,5 % – soit un avantage de 40 % pour les entreprises (et le résultat serait le similaire dans d’autre provinces). Il faut savoir que cet avantage fiscal est en réalité un report d’impôt, puisqu’une fois les surplus distribués sous forme de dividendes, le taux d’imposition combiné sociétés-personnel est comparable à ce qu’aurait été le taux d’imposition des particuliers si le revenu avait été gagné en tant que particulier. Malgré cela, le gouvernement estime que le propriétaire d’une entreprise privée jouit d’un avantage injuste s’il garde le « report d’impôt » dans l’entreprise et n’y réinvestit pas les bénéfices après impôts, choisissant plutôt des placements passifs. Cette situation est perçue comme étant « injuste » puisque dans l’entreprise imposée à seulement 13,5 %, les fonds disponibles pour investir sont plus importants que ceux dont dispose un particulier imposé à 53,5 %. Le cadre envisagé pour les mesures proposées est très complexe et serait très difficile à mettre en œuvre dans la « vraie vie », pour une entreprise privée (noter qu’il n’y avait alors ni avant-projet de loi ni date de mise en œuvre, juste un document de consultation). Qu’a dit M. Morneau en réaction aux commentaires détaillés et aux critiques? Non pas qu’il allait faire marche arrière, mais plutôt ceci :

« Le ministre Morneau a indiqué aujourd’hui que le gouvernement entendait mettre en œuvre des mesures destinées à limiter les possibilités de report d’impôt lié aux placements passifs tout en accordant aux propriétaires d’entreprise une plus grande marge de manœuvre pour se constituer une réserve d’épargne à des fins commerciales – par exemple, en prévision d’un ralentissement éventuel des activités ou d’un projet d’expansion – et afin de gérer des situations personnelles comme un congé parental, un congé de maladie ou un départ à la retraite. Ces nouvelles règles cibleront les particuliers fortunés, qui pourraient profiter, en vertu des règles actuelles, d’un compte d’épargne personnel, par l’intermédiaire de leur société, qui offre des avantages fiscaux illimités de loin supérieurs aux limites de cotisation à un régime de pension, à un REER ou à un CELI prévues pour les autres Canadiens. Le gouvernement est donc résolu à corriger cette situation injuste en soi, dans le cadre de la réflexion qu’il même sur la base des commentaires transmis par les Canadiens pendant la période de consultation.

Lors de l’élaboration ces mesures, le gouvernement s’assurera de ce qui suit :

  • tous les investissements déjà effectués ainsi que les revenus provenant de ces investissements seront protégés;
  • les entreprises pourront continuer à économiser en prévision d’urgences ou aux fins d’investissement dans leur croissance;
  • un seuil de revenu passif annuel de 50 000 $ (ce qui correspond à des économies de 1 million de dollars, selon un taux de rendement nominal de 5 %) – un montant que seules 3 % des sociétés environ dépassent – est prévu afin de donner aux propriétaires d’entreprise une plus grande marge de manœuvre. Ils pourront ainsi détenir des économies destinées à diverses utilisations, dont ils pourraient se servir ultérieurement à des fins personnelles, notamment pour un congé de maladie, un congé de maternité ou un congé parental, ou un départ à la retraite;
  • les investisseurs providentiels pourront se prévaloir d’incitatifs à investir dans la prochaine génération d’innovateurs canadiens. »

Ceci laisse entendre que les nouvelles règles pourraient s’appliquer seulement lorsque les revenus passifs excèdent 50 000 $, après avoir pris en compte les placements et les revenus hors exploitation existants. Mais que signifie tout cela? Comment les placements existants seront-ils « protégés »? Faudra-t-il suivre à la trace les fonds d’investissement « avant » et « après »? Le cas échéant, lorsqu’un dividende sera versé par l’entreprise, de quel fonds proviendra-t-il? Et à quoi correspond le « seuil de revenu passif annuel de 50 000 $ » exactement ? Les exemples que donne le gouvernement ne portent que sur le revenu d’intérêts. Comment les dividendes ou les gains en capital seront-ils traités? Quand les nouvelles règles seront-elles mises en œuvre? On ne le dit pas, mais il est probable que ce sera dans quelques années. Les commentaires formulés par le gouvernement ont provoqué un raz-de-marée de questions tout en donnant peu d’explications. Malheureusement, nous n’en saurons pas beaucoup plus avant le budget fédéral de 2018, ce printemps, c’est-à-dire le moment auquel le gouvernement laisse entendre que plus de détails sur les mesures proposées seront publiés. Accrochons-nous!

Les annonces récentes ont soulagé certaines inquiétudes très légitimes exprimées par les propriétaires d’entreprise, et leurs conseillers, à propos des propositions fiscales envisagées. Il est malheureux que toute cette affaire les ait laissés dans l’incertitude, causant ainsi des frustrations justifiées. Ce toute évidence, le processus aurait pu se dérouler plus efficacement en instaurant une communication et une collaboration adéquates entre le gouvernement et le milieu des affaires, et l’exercice de politique fiscale aurait pu ainsi être satisfaisant pour toutes les parties prenantes. Il est permis d’espérer que les objectifs du gouvernement en matière de politique tiendront compte de l’importante contribution que font les PME à l’économie du pays.

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