Les technologies financières sont-elles une menace pour le système bancaire canadien?

Les technologies financières sont-elles une menace pour le système bancaire canadien?

De grands événements ont marqué l’année 2016 : le Brexit, l’accession au pouvoir de Donald Trump, la crise des réfugiés syriens, les feux de forêt à Fort McMurray. En outre, pour le meilleur et pour le pire, les technologies ont largement redéfini le contexte commercial, influant ainsi sur la prospérité ou les difficultés économiques de divers pays. Tout comme les mots « millénial », « licorne », « mégadonnées » et « chaine de blocs », le terme « économie du partage » est entré pour de bon dans le vocabulaire des affaires.

Un regard vers l’avenir des services bancaires au public canadiens laisse présager qu’une part considérable du marché actuellement dominé par les grandes banques traditionnelles sera détournée au profit de l’économie du partage et des technologies financières; d’autant plus que les consommateurs ont un gout et une facilité de plus en plus marqués pour les nouvelles plateformes. Le secteur des services financiers est certes en mutation, mais la part de marché des grandes banques canadiennes continue de croitre dans un marché à la fois dynamique et déstabilisé.

Pour les grandes banques du pays, la clé du succès, dans les années à venir, ne consiste pas tant à être des pionnières en matière de technologies comme à trouver le moyen d’en tirer profit pour plaire à leurs clients actuels et intéresser de nouveaux segments qu’elles n’arrivaient pas à attirer jusqu’à maintenant. La prudence dont elles ont fait preuve au cours des grandes crises, les liens privilégiés qu’elles entretiennent avec leur clientèle et leur talent pour repérer les nouvelles dynamiques de l’industrie les ont bien armées pour faire face à la menace technologique dans l’espace financier.

Ana Botin, première présidente de la banque espagnole Banco Santander, a déjà dit d’Apple Pay : « Ce n’est pas une bonne chose pour nous, mais c’est une excellente affaire pour ses utilisateurs. » Puis, constatant l’usage répandu de l’iPhone chez les Britanniques et l’adoption croissante des modes de paiement mobile, Santander a voulu être la première à ajouter Apple Pay à sa gamme de services, en Grande-Bretagne. Malgré la perception qu’avait à l’origine la direction, qui croyait perdre des revenus lucratifs en frais d’opérations, elle y a vu des avantages. D’abord, les adopteurs précoces parmi ses clients demandaient déjà ce service. Ensuite, Apple Pay lui permettait d’attirer enfin un segment de marché qu’elle convoitait. Comme Santander était la seule à l’offrir, de nombreux consommateurs ont changé de banque pour cette seule raison. En collaboration avec Apple Pay, l’établissement a créé Spendlytics, un service qui permettait à ses clients de mieux gérer leurs finances en leur indiquant où allait l’argent qu’ils dépensaient. Cet outil novateur a attiré encore d’autres clients et fidélisé les anciens.

Dans le but d’établir une synergie avec les nouvelles technologies, la Banque royale du Canada (RBC) a fait équipe avec Uber, offrant des points de récompense sur la carte de crédit RBC à ceux de ses clients qui y ouvraient un compte. RBC espérait ainsi qu’ils se serviraient de leur carte pour payer leurs courses. Elle a vu juste, et ses revenus d’intérêt ont augmenté. Évidemment, Uber n’est pas en concurrence directe avec les technologies financières, mais ce partenariat est un bon exemple de la façon dont les grandes banques peuvent mettre à profit leur infrastructure, leur clientèle et leur crédibilité pour tirer avantage des anciennes et nouvelles technologies tout en récompensant ses actionnaires.

L’ampleur du capital de risque investi dans les entreprises de technologies financières en démarrage suscite aussi des inquiétudes à propos de la sécurité sur le Web, notamment en raison du nombre croissant d’atteintes à la protection des données. Les brèches de données dans ce secteur jouent en faveur des grandes banques, du moins pour ce qui est des taux d’adoption. En effet, les consommateurs penchent encore vers les établissements qui existent depuis des décennies lorsqu’il est question de sécurité et ils se sentent rassurés de savoir qu’ils peuvent voir quelqu’un, plutôt que communiquer avec un centre d’appel, s’ils ont besoin de parler de leurs finances personnelles. Le moment où les consommateurs seront prêts à confier leurs renseignements personnels à une petite entreprise en démarrage sera déterminant pour l’adoption des technologies financières et, il va sans dire, leur succès.

Dans le secteur des technologies financières, la concurrence est féroce et il se livre une véritable guerre de nerfs. C’est l’occasion pour les banques traditionnelles de recourir à leur expertise pour investir dans les entreprises en démarrage les plus prometteuses ou pour les acquérir. Non seulement elles en ont les moyens, mais elles possèdent les compétences et les ressources pour évaluer les tendances avec justesse. C’est ce qu’avaient fait RBC et BMO lorsqu’elles ont acquis Moneris Solutions au cours de l’explosion d’Interac, au début des années 2000.

Compte tenu de la lenteur relative des autorités de réglementation, la célérité des modèles d’affaires déstabilisants est un facteur important de leur succès. Elle leur aura procuré un avantage concurrentiel important. Cependant, l’ascension rapide de ces nouvelles entités, familièrement appelées « techfin » ou fintech, n’est pas une garantie de prospérité à long terme puisque tôt ou tard, les autorités rattraperont le retard réglementaire et commenceront à les encadrer. Déjà, à l’échelle mondiale, elles ont dû déroger de leurs politiques et stratégies de croissance pour tenir compte des contextes réglementaires régionaux. Pour les consommateurs, c’est un irritant du point de vue de l’accès, mais il existe encore des options. Ajoutons que dans le secteur des services financiers, l’éventualité d’un renforcement de la réglementation entourant les technologies financières pourrait entraver leur adoption, les consommateurs ne sachant pas ce que leur réserve l’avenir à cet égard. Cette situation donne encore une longueur d’avance aux banques actuelles, surtout au Canada, puisque l’intégration et l’encadrement des technologies qu’elles adoptent respectent déjà des politiques conformes.

Parmi les technologies financières, le modèle du prêt entre particuliers, qui consiste à jumeler prêteurs et emprunteurs sans intermédiaire financier, est des plus prolifiques. Ce modèle utilise des algorithmes complexes pour évaluer la capacité financière, voire le risque, que représente chaque client. Selon certains experts, cette forme de prêt représentera des milliards de dollars sur le marché des prêts personnels au cours des dix prochaines années. Ses détracteurs estiment toutefois que les évaluations exagérément optimistes, le manque d’expérience des acteurs du domaine et certaines similitudes avec le modèle de prêt hypothécaire qui a mené à la déroute le marché de l’immobilier, aux États-Unis, sont les signes d’une bulle comme on en voit beaucoup, ces derniers temps, plutôt que d’une bonne affaire à long terme.

Il faut plus que des innovations technologiques et de nouveaux produits financiers pour transformer une industrie. Les technologies financières s’accapareront probablement une part de marché qui était mal servie au départ, voire pas du tout. Les nouveaux venus se consolidant et offrant des services vraiment différents, il pourrait effectivement y avoir de la place pour tous les intéressés, chacun se servant sa juste part du gâteau et continuant de croitre.

Tout cela, ajouté aux modes actuels de prestation de service des grandes banques, laissera difficilement les sociétés technologiques indépendantes déstabiliser le marché de manière significative. Les banques traditionnelles ont démontré qu’elles étaient capables de s’adapter aux nouvelles préférences de sa clientèle, et ce qui leur manque en rapidité et en souplesse est largement compensé par leur expertise et leur accessibilité.

Il n’y a aucun doute que les technologies financières transformeront la façon dont nous utilisons les services bancaires. Les grandes banques conserveront toutefois leur avance sur la concurrence en raison de leur histoire, de leur réputation et des relations qu’elles ont établies avec leurs clients. Par conséquent, les organisations qui offriront les services bancaires de demain pourraient bien ne pas être très différentes de celles qui nous les offrent aujourd’hui.

Cody Sorensen, MBA
Associé principal, Fusions et acquisitions
WelchGroup Consulting
[email protected]

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