Le 18 juillet 2017, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de proposer des modifications fiscales qui auront une grande incidence sur les propriétaires d’entreprise. Cette proposition repose sur la prémisse que, selon le gouvernement, il est injuste qu’un salarié, qui obtient un T4, ne puisse pas prendre les mêmes mesures de planification fiscale qu’un propriétaire d’entreprise. Si elles sont adoptées, les modifications proposées limiteront ce que peut faire un propriétaire d’entreprise pour économiser ou reporter de l’impôt.
Voici, en bref, l’incidence qu’auraient les modifications proposées:
Fractionnement du revenu
Les règles régissant le fractionnement du revenu qui s’appliquent actuellement aux mineurs (kiddie tax) s’appliqueraient aussi aux membres adultes de la famille. Le taux d’imposition le plus élevé s’appliquerait aux dividendes, à certains types d’intérêts et aux gains en capital payés aux membres adultes de la famille, ou réalisés par ceux-ci, à moins que le montant puisse être qualifié de « raisonnable » dans les circonstances. Le critère du caractère raisonnable serait déterminé par les apports dans l’entreprise, y compris le capital investi. L’établissement du caractère raisonnable serait également plus strict pour les particuliers de 18 à 24 ans. Cela éliminerait essentiellement le fractionnement du revenu entre membres de la famille, quel que soit leur âge, à moins qu’ils ne participent activement aux activités de l’entreprise. Cette mesure serait applicable que les membres de la famille d’âge adulte possèdent ou non des actions, ou qu’ils soient bénéficiaires ou non d’une fiducie qui les possède.
Les nouvelles règles s’appliqueraient aux distributions de 2018 et des années suivantes.
Déduction pour gains en capital (DGC)
Lorsque le propriétaire d’une petite société vend des actions de son entreprise, il peut réclamer une déduction pour gains en capital (DGC). Pour 2017, cela pourrait lui procurer une exonération d’impôt sur les premiers 835 000 $ de gains en capital provenant de la vente des actions. Jusqu’à maintenant, une stratégie fiscale courante consistait à multiplier les demandes de DGC en distribuant les actions parmi les membres de la famille, soit directement ou au moyen d’une fiducie familiale.
En ce qui concerne les dispositions de 2018 et des années suivantes, les DGC ne pourraient pas être réclamées par les particuliers de moins de 18 ans, y compris une fois qu’ils auraient atteint l’âge de la majorité (pour tenir compte de la portion de l’augmentation de la valeur survenue avant l’âge de 18 ans). En ce qui concerne les membres adultes de la famille, si le critère du caractère raisonnable mentionné précédemment devait s’appliquer aux gains en capital réalisés, ces gains seraient imposés au plus haut taux d’imposition et il ne serait pas possible de réclamer la DGC.
De plus, à partir de 2018, si les actions étaient détenues par une fiducie autre qu’une fiducie en faveur de soi-même ou une fiducie mixte au profit du conjoint, toute augmentation de leur valeur au cours de la période où elles auraient été détenues par une telle fiducie serait non admissible à la DGC. Il serait toutefois possible d’exercer un choix unique, en 2018, afin d’augmenter le prix de base rajusté des actions et de réclamer la DGC, moyennant un certain assouplissement des restrictions relatives à l’admissibilité à la réclamation de la DGC.
L’effet combiné du fractionnement du revenu et du resserrement de l’admissibilité à la DGC rendrait inutile la fondation une fiducie familiale aux fins de la planification fiscale.
Transfert intergénérationnel
Le transfert intergénérationnel est un moyen d’extraire le cout après impôt des actions d’une petite société en transférant des actions à une autre société en échange d’un billet. Ce mécanisme repose sur la prémisse que si l’impôt a été payé une fois il ne devrait pas l’être à nouveau. En vertu des règles actuelles, si un fils fait en sorte que sa société achète de sa mère des actions d’un société qu’elle possède, la mère devrait déclarer des dividendes plutôt que des gains en capital. Si le fils (et non la société qu’il possède) achetait les actions de la mère, elle déclarerait des gains en capital (et non pas des dividendes). Ensuite, si la mère ne réclamait pas la DGC et payait l’impôt sur les gains en capital, le fils pourrait vendre les actions à la société qu’il possède en échange d’un billet, accédant ainsi au cout après impôt (la mère ayant déjà payé l’impôt sur cette valeur). Le fils n’aurait donc pas à payer l’impôt à nouveau.
Le gouvernement estime que les distributions d’une petite société au sein d’un groupe appartenant aux membres d’une même famille devraient toujours être imposées en tant que dividendes et jamais en tant que gains en capital. La règle changerait donc. D’abord, en vertu des règles actuelles et dans l’exemple qui précède, nous remarquons que le mécanisme relatif au cout après impôt fonctionne tant que la mère ne réclame pas la DGC. Si elle l’avait fait, il ne serait plus question de cout après impôt et le fils recevrait des dividendes s’il transférait les actions à la société qu’il possède en échange d’un billet. Une fois les modifications en vigueur, la référence portant sur la réclamation de la DGC serait éliminée des règles. La règle s’appliquerait dorénavant si tout membre de la famille du fils (p. ex. sa mère) déclarait un gain en capital en vendant les actions. De cette façon, lorsque le fils transférerait les actions à la société qu’il possède en échange d’un billet, il serait obligé de déclarer des dividendes. Cela créerait une double imposition, d’abord quand la mère déclare les gains en capital et ensuite quand le fils déclare des dividendes de même valeur. Pour éviter la double imposition, la mère serait obligée de déclarer des dividendes ou le fils devrait détenir les actions en son nom propre jusqu’à ce qu’il les vende à quelqu’un d’autre.
Le gouvernement reconnait qu’un authentique transfert d’actions intergénérationnel à une société appartenant à un enfant adulte devrait être traitée de la même manière qu’une vente à une société dans des conditions de concurrence normale (c’est-à-dire que la mère devrait pouvoir déclarer des gains en capital et réclamer la DGC, et le fils devrait pouvoir utiliser une société pour acquérir les actions comme il le ferait s’il achetait les actions de n’importe qui d’autre). Cependant, il s’avoue incapable de faire la distinction entre un véritable transfert intergénérationnel et un plan arrêté, de la part de la mère (dans ce cas-ci), pour retirer des bénéfices non répartis au taux d’imposition des gains en capital.
Le gouvernement ne dit rien à propos de ce type de planification après un décès, par exemple dans le cas où la mère décéderait en laissant ses actions à son fils en héritage, mais il parait évident que les nouvelles règles s’appliqueraient également en pareil cas. Cette situation causerait de graves ennuis aux successions actuelles, lesquelles se sont fiées au fait que les règles ne changeraient pas. La possibilité d’une double imposition est bien réelle et pose problème.
Les modifications proposées s’appliqueraient aux actions ayant fait l’objet d’une vente au 18 juillet 2017 ou après, et aux sommes reçues ou à recevoir de ce fait.
Investissement des bénéfices non répartis
Le gouvernement estime que le report d’impôt obtenu au moyen du taux d’imposition des sociétés ne devrait profiter qu’aux propriétaires d’entreprise qui réinvestissent les bénéfices non répartis (BNR) après impôt dans l’entreprise (le taux d’imposition pour les petites entreprises et le taux d’imposition général des sociétés étant plus bas que le taux le plus élevé d’imposition du revenu des particuliers). Les modifications proposées feraient en sorte que si les BNR étaient investis dans une participation passive, il ne serait plus possible d’utiliser le report d’impôt. Le gouvernement justifie sa position par l’injustice perçue qu’un salarié dont le revenu annuel indiqué au T4 serait de 220 k, et qui voudrait faire des placements à hauteur de 20 k, n’aurait que 10 k pour ce faire après impôt, tandis qu’un propriétaire d’entreprise disposerait de 17 k (20 k moins 15 %, qui est le taux d’imposition des petites entreprises).
Le gouvernement a proposé diverses options pour rétablir la situation. L’une d’elles serait qu’un impôt additionnel soit payé par l’entreprise dans la mesure où les BNR ne seraient par réinvestis dans sa propre entreprise. Cette mesure pourrait consister en l’utilisation de comptes servant au suivi des revenus assujettis à différents taux d’imposition. Une autre option porterait sur une méthode d’exercice d’un choix qui rendrait la société assujettie à un taux d’imposition élevé sur ses revenus de toutes sources. Le gouvernement songe aussi à remplacer les mesures liées aux « sociétés rattachées » / Partie IV du régime fiscal par un impôt remboursable à payer sur tous les dividendes intragroupes.
Les problèmes liés au réinvestissement des bénéfices non répartis et les solutions proposées n’ont pas été publiés sous forme d’avant-projet de loi, mais laissent entendre que le gouvernement tient à ce que les règles permettent d’atteindre les objectifs établis. Il ne reste plus qu’à savoir comment il y parviendra.
Conclusion
Les changements proposés sont majeurs et, s’ils sont adoptés, auront une incidence considérable sur les propriétaires de petites entreprises, qui sont une composante essentielle de la vitalité économique et de l’emploi. Le gouvernement a lancé un appel à commentaires à toutes les parties prenantes, mais la période de consultation est brève puisque les commentaires ne seront acceptés que jusqu’au 2 octobre 2017.